S – 21 300 à 18 900 AEC
Second pléniglaciaire
Interstade de Laugerie : 21.300 à 20.900 AEC
Stade de Jylland : 20.900 à 18.900 AEC
MIS 2 (2/9)
S – 21.300 à 18.900 AEC – Second maximum glaciaire
Climat
Comme beaucoup d’épisodes climatiques, l’interstade de Laugerie fut plus complexe que ce que pourraient nous laisser penser les seules données géologiques et archéologiques. Il pourrait avoir été constitué par l’addition de deux brefs réchauffements qui durèrent 100 ans chacun (GI-2.2 et GI-2.1) et qui furent séparés par un refroidissement de 200 ans (GS-2.2). Précisément, les dates seraient les suivantes : Laugerie ancien (v. 21.300 à 21.200 AEC) ; refroidissement intra-Laugerie (v. 21.200 à 21.000 AEC) ; Laugerie récent (v. 21.000 à 20.900 AEC).
A la suite de quoi survint un nouveau refroidissement appelé stade de Jylland ou stade inter Laugerie-Lascaux. Si l’on associe ce nouvel épisode glacial au GS-2 dans son ensemble, il faut le faire commencer v. 21.200 AEC, et donc faire coïncider son début avec ce que nous avons appelé refroidissement intra-Laugerie ; mais cela nécessiterait d’inclure dans le stade (froid) de Jylland l’épisode tempéré que nous appelons Laugerie récent. C’est pourquoi il est préférable d’identifier le stade de Jylland avec le GS-2.1c et de le borner entre v. 20.900 et 18.900 AEC.
Considéré dans son ensemble, l’interstade de Laugerie fut un réchauffement très timide au cœur d’une époque très froide ; le niveau des océans pourrait avoir été situé à – 110 mètres. En Europe du Nord, cette modeste embellie climatique fut cependant suffisante pour séparer l’inlandsis en une calotte britannique et une calotte fennoscandienne, ce qui eut pour conséquence de libérer la plaine du Doggerland, encore inhabitable en raison du froid ; de telle façon que l’Elbe et d’autres fleuves d’Europe Centrale purent de nouveau se jeter dans l’Océan au Nord ; tandis que le fleuve Manche (Méga-Rhin), toujours grossi de la Seine et de la Tamise, continua à se jeter dans l’Océan à l’Ouest.
A cette époque, l’aride Léopoldvillien se poursuivait en Afrique.
Afrique
Afrique du Nord
L’Afrique du Nord, de culture Ibéromaurusienne et Oranienne Orientale (i.e. Ibéromaurusien de Cyrénaïque), était désormais peuplée par des *Ibéromaurusiensrécemment arrivés d’Afrique de l’Est après la réouverture de la voie du Nil au LGM [cf. carte R]. L’archéogénétique nous enseigne depuis peu qu’ils étaient E1b1b1a-M78*, c’est-à-dire porteurs d’un variant nordique de E-M35 venu d’Afrique de l’Est *Rétro-Africaine [cf. carte R]. Après les *Gravettiens d’Europe, les *Ibéromaurusiens d’Afrique du Nord furent un des premier peuples à créer des objets (figurines) en céramique (site de Tamar-Hat) ; mais, comme eux, ils ne créèrent pas de poteries alimentaires qui n’auraient probablement pas eu d’intérêt en raison de leur mode de vie paléolithique et donc mobile. En Arrière de ce mouvement, d’autres E-M78 étaient restés dans la Moyenne vallée du grand fleuve ; nous le savons, parce que nous suivrons plus tard le buissonnement de leurs variants haplogroupaux [cf. carte V & suivantes]. Au long du Nil, ces gens vivaient non loin de leurs frères E1b1b1b-Z827 qui occupaient peut-être alors la Basse-Egypte où ils constituaient un groupe que nous pouvons appeler *Proto-Natoufien parce qu’il était en position ancestrale patrilinéaire des individus Natoufienspour lesquels nous avons désormais des données archéogénétiques [cf. carte X]. Ces positions respectives étant déduites d’une dispersion orientale qui sera plus précoce pour les héritiers *Natoufiens de E1b1b1b(E-Z827) que pour les héritiers de E1b1b1a [cf. carte W].
Enfin, la vallée du Haut-Nil devait abriter des peuples Eb1b1*-M35* *Para-Ibéromauruso-Natoufiens qui étaient les parents demeurés sédentaires de tous ceux qui avaient colonisé les rives du grand fleuve et les rives de la Méditerranée.
Afrique Tropicale
Situation ethnolinguistique inchangée.
Afrique du Sud
Au Sud du continent, on observe une évolution de la culture lithique avec la production de lamelles standardisées non retouchées. Cette industrie LSA post-LGM est appelée Robberg (LSA ROB) en Afrique du Sud, au Botswana et en Namibie. Plus au Nord, en Zambie, Malawi et Zimbabwe, une industrie similaire, mais comprenant des outils à dos retouchés, porte le nom de Nachikufien (LSA NAC). On peut se demander s’il ne faut pas attribuer ces changements culturels au mouvement méridional des peuples B2b que nous avons placé au LGM ? [cf. carte R]. Et bien sûr à l’interaction avec les substrats locaux qu’ils rencontrèrent ? Le complexe Wiltonien remplacera ces industries au début de l’Holocène, vers 8000 AEC au Nord de la zone considérée, et v. 7000 AEC au Sud du Limpopo.
Eurasie
Asie Sud-Orientale (Inde, Indochine, Sunda, Sahul)
Le paysage ethnolinguistique de l’Indo-Sunda et du Sahul pourrait ne pas avoir considérablement évolué depuis le LGM ?
En Indochine, certains chercheurs font commencer le Sonvien (SON) à cette époque immédiatement postérieure au LGM ; mais sans autre argument que l’hypothèse d’une arrivée probablement plus ancienne de *Proto-Papouasiens dans la région, nous avons plutôt pris le parti de situer v. 28.000 AEC le début – flou – de cette industrie [cf. carte Q]. Ce Sonvien est mal décrit. Il demeurait cependant une industrie fondamentalement archaïque, toujours essentiellement composée de galets cassés et de gros éclats dont, certains, étaient seulement allongés et grossièrement pointus en guise d’évolution technologique comparativement aux époques antérieures. Ce n’est donc qu’en forçant beaucoup le trait que nous attribuons au Sonvien un ‘’mode 1-2-3-(4)’’ sur les cartes.
Au Sunda, outre les traditionnels galets cassés, bifaces imparfaits et autres éclats grossiers, les industries lithiques *Quasi Paléolithiques Supérieures (*QPS)comprenaient également des pointes lancéolées et des éclats allongés en forme de lame qui devaient avoir les mêmes utilités que les lames eurasiennes. Ces progrès difficiles à dater découlaient peut-être de la pression de sélection en faveur du retour des cognitions modernes. Les peuples de la région pourraient avoir été *Proto-Australiens, ancêtres patrilinéaires directs des actuels Aborigènes majoritairement C1b2.
Dans les îles et au Sahul, la modernité était bien plus avancée pour les raisons déjà exposées. Vers 20.000 AEC, tous les sites contenaient de l’ocre et certains livrent des gravures (site de Koonalda) ; on y trouvait déjà des outils complexes (boomerang) et les fibres végétales étaient utilisées. En revanche, le propulseur ne devait pas encore exister car les Tasmaniens – ultimes héritiers des *Paléo-Australiens – ne l’ont jamais connu. Sur la grande île-continent, le propulseur sera probablement introduit par les *Proto-Australiens au milieu de l’Holocène [cf. atlas n°4].
Asie Extrême-Orientale (Chine, Corée, Japon, Mandchourie, Mongolie)
Au Laugerie, nous proposons un paysage ethnolinguistique semblable à celui du LGM. Que nous synthétisons ainsi :
- Un groupe *Eurasiatique occidental septentrional *Para-Eskaléoute Q1b1-L330 en Mongolie Occidentale, tandis que la Mongolie Orientale était désertique.
- Un groupe *Proto-Na-Déné-Ienisseïen C2b1a, établi en Mandchourie où il avait adopté et adapté les techniques lithiques PSM des réfugiés N1* venus de Mongolie au LGM, en mettant au point la méthode PSR Yubetsu (YUB). Les industries Yubetsu demeureront utilisées jusque v. 10.500 AEC dans le bassin de l’Amour et jusque v. 6500 AEC au Primorye [cf. atlas n°4].
- D’autres C2b1a s’étaient établis sur Sakhaline et avait atteint l’archipel du Japon à pieds secs, introduisant la méthode Yubetsu au Nord de l’archipel. Le microlithisme Yubetsu diffusera au Japon Central entre v. 22.000 et v. 20.000 AEC. Les indigènes japonais d’haplogroupe D1b ne disparurent pas pour autant ; probablement parce qu’ils furent capable d’apprendre rapidement la technologie supérieure de leurs envahisseurs. Dans le même temps, un vrai ‘’mode 4’’ (lames à dos) apparu v. 21.000 AEC au Sud de l’archipel japonais ; ce progrès technologique pourrait être mis en relation avec l’arrivée des populations C2a qui – peut-être sous la pression de tribus N1* et/ou C2b1a – se seraient repliées à cette époque dans le refuge insulaire où cet haplogroupe rare survit encore aujourd’hui ?
- Les *Paléo-Ryükyüens C1a1 étaient installés aux îles Ryükyü et au Sud de l’archipel japonais.
- la Chine du Nord, peuplée de *Sinitiques / Sino-Tibéto-Birmans, s’était partiellement convertie au Microlithismeau cours du LGM malgré la survivance d’industries de ‘’mode 4’’. Il faut peut-être voir dans cette coexistence la marque de deux peuples dont l’indigène, à base C2c, était en train de s’acculturer à la nouvelle industrie de ses envahisseurs *Eurasiatiques orientaux *Proto-Ouralo-Altaïques N1*. La concentration de sites microlithiques étant particulièrement dense dans le bassin de Nihewan (Hebei), cela pourrait témoigner d’une plus forte implantation des N1* dans cette région, ainsi qu’au Liaoning et au Jilin ; et probablement en Mongolie Intérieure. Le ‘’mode 4’’ disparaitra de Chine du Nord v. 19.000 AEC, ce qui signifie que les technologies exogènes auront fini à ce moment de diffuser à toute la Chine du Nord.
- Les marges du Tibet étaient peuplées de *Paléo-Tibétainsd’haplogroupe D1a et, dans le Sud, d’haplogroupe DE*. Ces peuples conservaient des industries en retard de ‘’mode 1-2-3’’.
- Enfin, la Chine du Sud et le Nord du Vietnam devaient être le domaine des peuples Austriques d’haplogroupe O ; avec O1a sur le littoral méridional ; O1b1 au Sud ; O1b2 au Nord ; et O2 à l’intérieur des terres. Leur industrie *Quasi-Paléolithique-Supérieure (*QPS) accusait un retard par rapport aux industries Microlithiques (MIC) du Nord de la Chine, mais étaient cependant plus modernes que les industries sur gros éclats (FLK) de l’Indo-Sunda. Ainsi, le site de Ma’anshan a livré des outils en os (harpon, alène) et des parures.
Bien que nous soyons désormais parvenus à une époque où les Hommes archaïques de ‘’pure souche’’ avaient disparus sur toute la planète, il est intéressant de faire remarquer que le gradient technologique observé en Extrême-Orient à l’époque de Laugerie, calquait toujours exactement le gradient technologique qui s’était installé dans un passé très lointain entre les Néandertaloïdes qui vivaient en Chine du Nord, les Néandertaloïdes mêlés de Dénisoviens qui vivaient en Chine du Sud et les Dénisoviens Méridionaux de ‘’pure souche’’ qui vivaient en Indo-Sunda ; gradient technologique qui tenait au fait que les Néandertaloïdes étaient moins pauci-cognitifs que les Dénisoviens [cf. atlas n°2]. Ainsi, métissages modernes après métissages modernes – les uns apportés par des peuples arrivés par la ‘’voie du Nord’’ et les autres par des peuples arrivés par la ‘’voie du Sud’’ – cet antique gradient hérité du Paléolithique inférieur demeurait encore parfaitement intact dans le Monde post-LGM, et cela malgré les nombreux progrès technologiques survenus depuis : progrès rapides au Nord, peu rapides au Centre, et très lents au Sud !
Asie Septentrionale (Asie Centrale, Sibérie Occidentale, Steppes asiatiques, Altaï, Baïkalie, Sibérie Orientale, Alaska)
Nous avons déjà étudié les peuples Eurasiatiquesd’haplogroupe K2 – ancêtre des haplogroupes N, P, Q, R – qui s’étaient étendus en écharpe tout au long du système des steppes asiatiques, depuis celles du plateau iranien et de l’Asie Centrale méridionale jusqu’à celles de la Moyenne-Lena et de l’Aldan, avec leur prolongement béringien.
Les *Eurasiatiques Occidentaux Méridionaux Méridionauxdu plateau iranien et d’Asie Centrale méridionale étaient déjà bien diversifiés. Des tribus R2 vivaient peut-être en Chorasmie (Sud de la mer d’Aral) et au voisinage de la mer Caspienne, non loin de tribus R1b* et R1b1*, formes souches de R1b qui existaient toujours. C’est peut-être au stade de Jylland, v. 19.000 AEC, que R1b1-L278 donna naissance à des formes racines R1b1*-L278*, à R1b1a-L754 dont une branche migra vers l’Anatolie (puisqu’on la retrouvera en Europe tardiglaciaire), ainsi qu’à R1b1b-M335 dont une branche migra également vers l’Anatolie (puisqu’on la retrouvera en Europe tardiglaciaire), tandis qu’une autre partira vers les Indes (où on la retrouve aujourd’hui au Ladakh). A partir d’une éventuelle position en Asie Centrale méridionale plutôt que sur le plateau iranien, le Mazandéran aurait constitué la voie naturelle permettant à ces peuples orientaux d’atteindre la région des grands lacs d’Arménie, au seuil d’une aventure occidentale ?
A cette époque, l’haplogroupe R1a2 – forme méridionale de R1a – devait se trouver sur le plateau iranien, en attendant de migrer lui aussi, plus tard, vers l’Anatolie (Ouest) et vers l’Afghanistan (Est). Son groupe frère R1a1 – forme septentrionale de l’haplogroupe R1a – devait être situé en Asie Centrale méridionale où également sur le plateau iranien.
Plus au Nord, les steppes du Kazakhstan post-LGM devaient être désertiques. Mais au-delà, les steppes de Baraba, le bassin de Minoussinsk et la Cis-Baïkalie étaient peut-être peuplés par des tribus R*, dont celles de Cis-Baïkalie portaient la prestigieuse culture de Mal’ta-Buret’ (PSM MAL). Il s’agissait d’Europoïdes.
Au Nord des R1 et des déserts du Kazakhstan, les régions peu attractives de Sibérie Occidentale demeuraient encore technologiquement en retard ; elles abritaient peut-être des tribus Q1a2 et Q1b2 que nous avons collectivement appelées *Eurasiatiques occidentales septentrionales de l’ouest, et qui étaient génétiquement proches des peuples plus prestigieux partis peupler la Sibérie Orientale.
Au Sud-Est des peuples R* de Cis-Baïkalie et peut-être de la Haute-Lena, la Trans-Baïkalie étaient peut-être le domaine des tribus *Eurasiatiques occidentales méridionales centrales *Proto-Tchouktcho-Nivkhes, porteuses de l’haplogroupe P1*(non-R) dont la position génétique patrilinéaire se situait en amont de la divergence R / Q. ces gens constituaient le groupe le plus ectopique des Eurasiatiques occidentaux méridionaux. Comme leurs cousins R*, R1 et R2, ils exprimaient certainement un morphotype Europoïde, hérité du vieux fond Néandertaloïde occidental.
Les *Eurasiatiques occidentaux septentrionauxcomprenaient :
- Des peuples Q1b1-L330 établis en Mongolie Occidentale. Nous les avons appelé *Eurasiatique occidentauxseptentrionaux du sud. Ils étaient proches parents des *Proto-Eskaléoutes et des *Proto-Amérindes mais avaient pour destin de s’intégrer un jour lointain au groupe Altaïque qui n’était pas encore constitué.
- Les *Proto-Eskaléoutes Q1a1-F746 vivaient sur le haut-Ienisseï, et peut-être sur la Tchoulym et dans les steppes de l’Angara. Ils conservaient probablement encore un morphotype Europoïde à ce stade de leur histoire.
- Nous avons précédemment envisagé la survivance de groupes *Para-Amérindes Q1b1-M3 dans les vallées de la Moyenne-Lena et de l’Aldan.
- Enfin, issus de la même souche Q1b1-M3, mais vivant désormais loin au Nord, de l’autre côté du désert glacé de Sibérie orientale septentrionale, les peuples *Proto-Amérindes demeuraient cantonnés sur le pont de Béringie et dans son prolongement d’Alaska, étant empêchés d’aller plus loin par l’inlandsis qui recouvrait une grande partie de l’Amérique du Nord. Depuis le LGM, le corridor de Mackenzie n’était plus praticable pour les faunes. La route côtière offrait cependant une possibilité de passage lors de chaque amélioration climatique qui éloignait les glaces du rivage ; mais cette route littorale caillouteuse – probablement peu attractive pour des chasseurs de grandes plaines – devait se refermer lors de chaque épisode froid. Globalement, cette situation allait perdurer jusqu’au début du Tardiglaciaire ; époque qui verra les premiers Humains coloniser l’Amérique. C’est en raison de cet isolement extrême que la langue des *Proto-Amérindes dériva considérablement au point de former un groupe dont le rattachement à l’Eurasiatique fut difficile à repérer.
Asie Occidentale (Moyen-Orient, Proche-Orient, Anatolie, Arabie)
Nous proposons un paysage ethnolinguistique globalement inchangé chez les peuples *Nostratique-3 du Moyen-Orient. Sur le plan culturel, les habitants des Zagros amorçaient une transition interne du Baradostien vers le Zarzien (BAR ZAR), qui était la forme récente du Paléolithique supérieur local. Les peuples du Levant demeuraient quant à eux Antéliens (ANT). Ces derniers exprimaient peut-être des haplogroupes IJ* et J*, proche des haplogroupes J1 et J2 qui vivaient dans les hautes vallées du de l’Euphrate et du Tigre où elles formaient un sous-groupe *Nostratique-3-Occidental qui pourrait avoir été à l’origine commune de l’Afrasien et du Kartvélien [cf. atlas n°4].
Au cours de l’interstade de Laugerie, il est possible que l’Anatolie Orientale et la péninsule anatolienne – jusque-là peuplées de I* et de I2*, proches parents des *Gravettiensd’Europe – aient continué à s’enrichir de nouveaux peuples venus du plateau iranien et/ou d’Asie Centrale méridionale. Sans certitude quant à la date, l’Anatolie du Laugerie concentrait peut-être déjà des tribus d’haplogroupes H2, T1, Q2a, R1b2-M335, R1b1b et R1b1a*-M754*. Pour partie, ces haplogroupes existent toujours en Anatolie / Arménie actuelles, et certains d’entre eux migreront en Europe au Tardiglaciaire [cf. carte V]. R1b*-M754* aura même aussi un modeste destin africain, puisqu’on le trouve aujourd’hui à taux faible chez les Toubous (Tchad) ; ce destin étant donc similaire de celui de R1b-V88 qui réussira sa rétromigration de manière plus grandiose [cf. carte T & atlas n°4]. Descriptivement, nous qualifions de *Proto-Epigravettiens ce conglomérat hétérogène de peuples, pour signifier que leurs haplogroupes s’implanteront en Europe balkanique au début de l’Epigravettien récent [cf. carte V]. Par symétrie, c’est hypothétiquement au Laugerie que nous ferons entrer Q2b, T1 et T2 aux Indes, peut-être poussés par la pression des peuples d’haplogroupe R sur le plateau iranien ?
A l’époque où nous sommes parvenus, il faut commencer à réfléchir à l’origine des Indo-Européens. On sait qu’il existe depuis longtemps deux positions antagonistes parmi les chercheurs : celle d’une origine steppique asiatique – que nous adoptons dans cette série d’atlas – et celle d’une origine anatolienne que nous rejetons formellement. Cette thèse anatolienne découle d’une série d’arguments résumée ici sous la forme d’une liste :
1) C’est à partir de l’Anatolie que le Néolithique diffusa en Europe. Cela est vrai, mais la thèse anatolienne oblige à accepter que les peuples néolithiques européens sont les ancêtres directs des Indo-Européens d’Europe, ce qui fait clairement problème en raison des haplogroupes ADN-Y des peuples néolithiques [cf. atlas n°4].
2) Il exista (langues Anatoliennes, langue Phrygienne, langue Gauloise) et il existe toujours (langue Arménienne) des langues Indo-Européennes en Anatolie. Cela est vrai, mais tout indique qu’elles ont été tardivement intrusives à différentes époques que nous pouvons même parfaitement dater [cf. atlas n°4].
3) La langue Proto-Kartvélienne dont les locuteurs des langues filles actuelles portent majoritairement les haplogroupes J2 et G2, était proche de la langue Proto-Indo-Européenne dont les locuteurs des langues filles actuelles portent majoritairement les haplogroupes R1b et R1a. Puisque le Kartvélien est – aujourd’hui – étroitement localisé au Sud-Caucase, certains croient pouvoir en déduire que les *Proto-Indo-Européens vivaient à proximité de cette région et par conséquent vivaient en Anatolie Orientale. Par ailleurs, ces deux proto-langues sont l’une et l’autre proches du *Proto-Afrasien, dont des linguistes situent aujourd’hui l’origine au Proche-Orient, c’est-à-dire immédiatement au Sud de l’Anatolie Orientale [cf. atlas n°4]. Tout cela est véritable et semble donner du crédit à la thèse anatolienne. Mais, pourtant, ces parentés linguistiques n’impliquent en aucune façon une localisation anatolienne des *Proto-Indo-Européens car elles peuvent s’être constituées au sein d’un ensemble Nostratique plus vaste ! Ainsi, la proximité des trois proto-langues citées pourrait initialement avoir résulté d’une continuité géographique et linguistique des populations I* / I2* d’Anatolie Orientale et du Sud-Caucase, J1 / J2 de Haute-Mésopotamie, G du Nord-Zagros, et R1b du plateau iranien et/ou d’Asie Centrale méridionale ; populations dont nous avons par ailleurs maintes fois souligné le fort apparentement génétique et la longue stabilité linguistique dans l’ensemble aréal du ‘’hub’’ moyen-oriental où la densité humaine freinait l’évolution des langues. Cette proximité initiale aurait ensuite été renforcée lorsque certaines tribus R1b puis certaines tribus G migrèrent en Anatolie Orientale et au Proche-Orient où elles s’installèrent sur des terres antérieurement peuplées par des peuples I* / I2* (Anatolie Orientale, Sud-Caucase). Donnant l’impression artificielle que les futurs Indo-Européens provenaient de cette région.
4) Les haplogroupes R1b et R1a ‘’mineurs’’ dont l’existence à récemment été démontrée en Anatolie ou au Proche-Orient contemporain (R1b1b-M335, R1b1a*-L754*, R1b1a1-L388, R1b1a2-V88, R1a2a, R1a2b) semblent à première vue donner une confirmation éclatante à l’hypothèse d’une origine anatolienne des *Proto-Indo-Européens. Pourtant, cela n’est pas obligatoire ! En effet, on peut également déduire que ces variants anatoliens de R1b et de R1a sont venus s’empiler à l’Ouest à partir d’une position originelle située sur le plateau iranien ou en Asie Centrale méridionale ; cela parce que d’autres variants de R1b et de R1a – originaire des mêmes régions – ont migré les uns vers l’Est (Indes) et les autres vers le Nord (steppes du Kazakhstan), selon le schéma tri-directionnel de toutes les migrations parties du plateau iranien, auquel nous avons déjà maintes fois été confrontés au cours des cartes précédentes ! Ce sont ces variants nordiques de R1b et R1a – et uniquement ceux-là – qui seront à l’origine des Indo-Européens d’Europe et des Indes ! Pas ceux d’Anatolie ! Ni bien sûr ceux des Indes !
5) Enfin, si l’hypothèse d’une origine anatolienne des *Proto-Indo-Européens peut expliquer l’apparentement de la langue Proto-Indo-Européenne avec les langues Proto-Kartvélienne et Proto-Afrasienne, elle laisse de côté le fait que la langue Proto-Indo-Européenne appartenait avant tout à un vaste ensemble Eurasiatique au sein duquel elle voisinait avec l’Ouralo-Youkaghir (*Eurasiatique oriental), l’Eskaléoute(*Eurasiatique occidental septentrional), le Tchouktcho-Nivkhe (*Eurasiatique occidental méridional central) et l’Altaïque (aux racines davantage composites, mêlant différentes strates Eurasiatiques et autres). Cet ensemble Eurasiatique est très homogène, avec une base haplogroupale K2 (= N, P, Q, R) qui s’impose comme une évidence [cf. cartes L & suivantes] ! L’appartenance de la langue Proto-Indo-Européenne au sous-groupe Eurasiatique/ K2 des langues Nostratiques, confirme que les ancêtres linguistiques (et patrilinéaires R1) des *Proto-Indo-Européens étaient situés au centre d’une chaine linguistique et génétique Nostratique étendue du Proche-Orient à la Sibérie Orientale, tout en constituant l’élément linguistique et génétique le plus méridional du sous ensemble Eurasiatique.
Au total, une position initiale de R1 et de ses variants sur le plateau iranien ou en Asie Centrale méridionale est bien plus logique qu’une position en Anatolie. A l’époque post-LGM, les haplogroupes et les langues R1b qui migrèrent vers l’Ouest enrichirent très vraisemblablement le pool anatolien (dont le kartvélien et les *Kartvéliens sont des résidus) en éléments génétiques et linguistiques de type *Proto-Indo-Européens ; mais ils ne furent pas les ancêtres des *Proto-Indo-Européens d’Europe, car ceux-ci étaient leurs très proches cousins partis dans les steppes du Nord ! [cf. aussi carte T]. On voit que toutes les données doivent être soigneusement examinées et replacées dans un contexte contraint.
Europe Centrale et Occidentale
Le LGM avait conduit les populations septentrionales à se replier dans les refuges méridionaux, entrainant un mélange des technologies et dans une moindre mesure des haplogroupes.
Nous avons vu précédemment que le Solutréen récent (SOL REC) pourrait s’être prolongé au-delà de la phase de Frankfort, pendant tout l’interstade de Laugerie, voire jusqu’à la fin du stade de Jylland / inter Laugerie-Lascaux [cf. carte R]. Nous adhérons à cette chronologie longue du Solutréen parce que le Magdalénien Ancien (ex Magdalénien-2) commencera v. 18.500 AEC, au début de l’interstade de Lascaux [cf. carte T] ; il semble donc logique d’admettre que le Solutréen Récent – qui fut nécessairement son substratum – se prolongea jusque-là.
Des datations C14 générées par SMA (Spectrométrie de Masse par Accélérateur) ont récemment permis de préciser les dates du Badegoulien ancien (BAD ANC) autrefois appelé Magdalénien-0 (v. 21.500 à 21.000 AEC), et du Badegoulien récent (BAD REC) autrefois appelé Magdalénien-1 (v. 21.000 à 20.000 AEC). Les deux phases du Badegoulien étant également dites ‘’Magdalénien à raclettes’’ ; ces raclettes étant des éclats retouchés. On constate ainsi que l’ensemble de la période badegoulienne coïncide avec l’époque du Solutréen récent ; au moins pendant l’interstade de Laugerie. Or, les vestiges badegouliens présentent la même aire de répartition que les vestiges solutréens, comprenant toute la France à l’Ouest du Rhône ainsi que la région cantabrique. Nous avons donc deux cultures très différentes dans une même aire géographique à la même époque, ce qui n’est pas très fréquent !
Mais ce qui intrigue le plus c’est l’étrange régression technologique apparente du Badegoulien qui – malgré le travail de l’os et du bois de renne, et tout en étant sans conteste une culture du Paléolithique supérieur – rappelle les industries du Paléolithique moyen parmi d’autres traits rappelant quant à eux l’Aurignacien ; tout cela contrastant avec les deux époques qui le bornent dans le temps – la solutréenne et la magdalénienne –, toutes les deux caractérisées par l’épanouissement d’un Paléolithique supérieur particulièrement sophistiqué. Pour expliquer cet étrange sandwiche technologique, certains auteurs nous ont rejoué le scénario du ‘’coup de bambou’’, en avançant que les *Badegouliens se seraient ‘’désintéressés’’ des techniques lithiques au profit de possibles outils en bois qui présentent l’immense avantage de ne pas pouvoir se conserver. En lieu et place de cette thèse qui rappelle la vulgate du Sud-Est asiatique, nous reconstituons plutôt le scénario suivant qui s’inscrit dans la droite ligne de l’hypothèse cognitive qui infiltre tout l’atlas n°3. Le voici. En actant leur disparition au cours de l’interstade de Maisières, à partir duquel ils ne sont plus visibles [cf. carte P], nous avons probablement enterrés les Néandertaliens trop tôt ! En effet, certains d’entre eux – de pure souche ou peut-être plutôt déjà partiellement métissés avec leurs envahisseurs modernes – pourraient s’être réfugiés en altitude où ils auraient vivotés plusieurs milliers d’années, jusqu’à la fin du Tursac. Si nous n’avons pas découvert leurs traces dans les Alpes, dans les Pyrénées et dans le Caucase, c’est parce que les glaciers de montagne du MIS 2 les ont effacées. A ce stade, nous nous permettrons une courte digression qui pourrait surprendre si nous ne savions pas – désormais – que plusieurs légendes d’âge paléolithique se sont transmises jusqu’à nous : Si des légendes impliquant des Hommes sauvages existent dans toutes les contrées montagneuses d’Eurasie (Yeti / Migoi / Gredpo / Mechume du Tibet, Nguoi-Rung / Batutut / Ujit d’Indochine, Bar-Manu du Pamir, Van-Manass du Cachemire, Almas de l’Altaï, Almasty / Kaptar du Caucase, Basajaun des Pyrénées, Bretou des Alpes), c’est peut-être parce qu’elles sont le souvenir déformé d’un état ancien où les Hommes modernes de la plaine savaient que d’autres sortes d’Hommes, plus ‘’sauvages’’ qu’eux, habitaient dans les montagnes. Mais lorsque le LGM survint, v. 24.000 AEC [cf. carte R], les derniers Dénisoviens (i.e Yeti / Migö / Nguoi-Rung) et les derniers Néandertaliens (i.e. tous les autres Hommes sauvages cités) furent chassés de leurs refuges montagneux par le froid intense.
Alors, pour revenir à l’Europe et à la genèse du Badegoulien, nous poursuivons le scénario comme suit : une fois en bas des montagnes, ces ultimes Néandertaliens ou Quasi-Néandertaliens se métissèrent une toute dernière fois avec les Hommes modernes locaux qui conservaient une base aurignacienne héritée du temps où des *Aurignaciens s’étaient réfugiés dans les piedmonts sous la pression des *Gravettiens qui occupaient les plaines ? Sous l’effet de ce nouvel apport en gènes pauci-cognitifs, les tribus métissées vivotèrent dans les piedmonts des montagnes pendant tout le LGM ; tandis que les tribus *Gravettiennes restées pleinement modernes les tenaient à distance des grandes plaines giboyeuses, dont l’étendue exploitable n’était peut-être pas infinie au cœur du refuge franco-ibérique. Puis, au début de l’interstade de Laugerie (v. 21.300 AEC), le retour de conditions climatiques plus favorables étendit l’espace disponible et rendit la vie plus facile, en multipliant peut-être la densité des grands animaux. Alors, ces tribus *Badegouliennes purent s’avancer dans ce Monde devenu plus grand et plus vide, où la faible densité humaine leur épargnait une trop forte concurrence avec les tribus *Solutréennes qui entreprenaient elles aussi de s’égayer dans le nouvel espace ; c’est cette situation qui explique la coexistence des deux cultures sur un même territoire. Enfin, en contractant de nouveau les populations dans un Monde qui redevint plein, la période froide de Jylland / inter Laugerie-Lascaux (v. 20.000 à 18.900 AEC) favorisa une nouvelle fois les rivalités et les métissages ; ce brassage génétique dilua par conséquent les gènes pauci-cognitifs des derniers *Badegouliens qui se fondirent définitivement dans la population des derniers *Solutréens et entrèrent dans le creuset de la cristallisation ethnique *Magdalénienne. Entre temps, la pression de sélection – qui agissait une fois encore en faveur des gènes normo-cognitifs – avait déjà réduit la proportion des gènes pauci-cognitif chez les derniers *Badegouliens. De telle façon que les premiers *Magdaléniens (héritiers majoritairement des *Solutréens entièrement modernes et minoritairement des *Badegouliens ‘’semi-modernes’’) ne furent pas visiblement affectés.
Notre scénario a également le mérite d’expliquer les vestiges gênant ‘’d’allure badegoulienne’’ qui ont été retrouvés ailleurs en Europe ; et qui, à cette époque ‘’moderne’’, n’auraient pas plus de sens que le Badegoulien français en l’absence de cette hypothèse cognitive.
Au cours de ce processus, les descendants patrilinéaires des *Gravettiens et des *Solutréens eurent probablement le dessus ; ainsi qu’on peut l’inférer de la persistance de l’haplogroupe I jusqu’à notre époque, tandis que C1a2 et tous les autres haplogroupes primordiaux s’effaçaient.
A l’époque de Laugerie, les régions d’Italie et des Balkans – géographiquement plus homogènes qu’aujourd’hui du fait d’une mer Adriatique très réduite – constituaient un deuxième refuge méridional, isolé du refuge franco-ibérique. Là, et dans le bassin danubien, le Gravettien se prolongea sous sa forme récente (GRA REC) (v. 21.000 à 19.000 AEC), sans avoir à subir les conséquences du bouleversement culturel et Humain qui affectait la France et l’Espagne. Il faut peut-être chercher les raisons de cette stabilité dans l’absence des intrusions méridionales et septentrionales qui présidèrent à la naissance du Solutréen ? [cf. carte R]. Une transition s’amorçait pourtant en direction de l’Epigravettien, comme à Sagvar dont la culture est qualifiée d’Epigravettien Sagvarien (EPI GRA SAG).
Europe Orientale
Un troisième refuge européen existait dans les steppes pontiques et le Nord-Caucase, et s’étendait même jusque dans les piedmonts de la chaine de l’Oural qui étaient peut-être moins affectée par le froid que le Nord de l’Europe de l’Ouest ?
- Dans les régions entourant la Crimée, un Epi-Aurignacien (E.AUR) mêlé de Gravettien prolongeait génétiquement et culturellement le souvenir des anciens peuples de Moldavie ; ils disparaitront v. 18.000 AEC, fondu dans la masse des peuples Epigravettiens. A leur place, la Moldavie abritait désormais des *Gravettiens chez lesquels certains chercheurs font débuter l’Epigravettien ancien dès v. 21.000 AEC.
- Dans la plaine ukrainienne, le Culture de Kostenki-Avdeevo (GRA KOS AVD) était une forme du Gravettienissue d’un mouvement venu d’Europe centrale au LGM [cf. carte R]. A Kostenki-4-Aleksandrovski, l’Epigravettien comprenait des éléments foliacés (EPI FOL) certainement hérités de populations nordiques qui avaient reflué vers le Sud lors du LGM. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est ce qui a pu faire improprement parler de **’’Solutréen oriental’’.
- Le Nord-Caucase était peut-être un conservatoire du vieil haplogroupe C1b* et d’une forme locale des langues Déné-Caucasiennes dont émergerait un jour les langues Nord-Caucasiennes.
- Enfin, les régions de la Volga et de l’Oural abritaient peut-être toujours la vieille population *Gorodstovienne dont les racines pourraient avoir été partiellement sibériennes ? Sur la carte, nous indiquons cette culture sous le nom géographique de Volga-Oural (VOL OUR).