P – 0.87 à 0.68 MA CROMERIEN ANCIEN INTERGLACIAIRE
Complexe interglaciaire CROMERIEN ancien
MIS 21, MIS 20, MIS 19, MIS 18, MIS 17
MIS 19 = début du Pléistocène moyen et du BRUNHES

Carte – P – 870.000 à 680.000 AEC – Complexe interglaciaire CROMERIEN ancien – Pluvial Kageran (1)
Climat
Comme les autres hyper-complexes climatiques qui l’ont précédé, l’hyper-complexe interglaciaire CROMÉRIEN est un fourre-tout qui masque d’importantes variations climatiques internes à la période. De fait, il ne s’est pas agi d’un interminable interglaciaire sans caractère qui se serait mollement étalé sur 400.000 ans. Très notablement, le Cromérien fut même entrecoupé par le MIS 16 qui fut la plus sévère glaciation de tout le Quaternaire ! C’est pourquoi nous découpons ici le Complexe Cromérien en une période ancienne [la présente carte P] et une période récente [cf. carte R], séparées par le glaciaire Cromérien-B ou glaciation du Don (MIS 16) [cf. carte Q].
Le complexe interglaciaire CROMÉRIEN ANCIEN – qui fait l’objet de la carte P – regroupa dans le détail cinq MIS froids et chauds : le MIS 21 (v. 870.000 à 810.000 AEC) qui fut un interglaciaire comparable au nôtre ; le MIS 20 (v. 810.000 à 790.000 AEC) qu’on pourrait appeler ‘‘*GLACIAL CROMERIEN PRE-A’‘ bien que le froid ne fut pas intense ; le MIS 19 (v. 790.000 à 770.000 AEC) qui fut tempéré et au cours duquel survint, vers 780.000 AEC, l’inversion magnétique qui inaugura l’époque de BRUNHES où nous vivons toujours ; le MIS 18 ou GLACIAL CROMERIEN-A (v. 770.000 à 710.000 AEC) qui fut comparable au MIS 4 (premier pléniglaciaire de la dernière glaciation), et à l’issue duquel il faut placer le début de la submersion de la grande vallée scandinave du fleuve Eridanos qui allait devenir la mer Baltique ; et enfin le MIS 17 (v. 710.000 à 680.000 AEC) qui fut un bel interglaciaire chaud comprenant un épisode pluvial de ‘’Sahara vert’’. Précisément, la carte P représente ce pluvial chaud du MIS 17 qui dut correspondre à la première partie de ce que l’on appelle ‘’pluvial Kageran’’ en Afrique.
Afrique
En Afrique, vers 700.000 AEC, le rétablissement du Nil rouvrit la ‘’route du Nord’’ pour les faunes subsahariennes ; cette voie subsistera jusque vers 300.000 ans AEC avant de se refermer une fois encore. Cependant, il faut rappeler que l’existence ou non de la voie du Nil n’a de réelle importance qu’en période aride ! Car, en période pluviale, les faunes africaines ont la possibilité d’emprunter deux autres ‘’axes routiers’’ pour quitter l’Afrique Subsaharienne : la route de l’Arabie (que nous avons déjà vue empruntée à deux reprises, par les Erectus et par les Heidelbergensis), et celle du ‘’Sahara vert’’. Précisément, un épisode de ‘’Sahara vert’’ ouvrit une voie d’accès vers l’Afrique du Nord au cours du MIS 17.
Au Proche- et au Moyen-Orient, l’Acheuléen (ACH) était toujours présent. De fait, le site levantin de Gesher Benot Ya’aqov a livré des traces de foyers et des outils de ‘‘mode 2’‘ vers 790.000 AEC. Mais, outre la présence d’outils acheuléens, d’autres sites levantins – comme El Kowm (Syrie) v. 700.000 AEC et le Mont Carmel (Israel) v. 700.000 AEC – permettent aussi de récolter des ‘‘petits outils’‘ tayaciens (TAY) [cf. ci-dessous], ce qui pose la question d’une coexistence ou d’une interpénétration de deux industries et peut-être même de deux races humaines au Proche-Orient ? Cela fut-il la conséquence d’un repli méridional de groupes Antécessors venus peupler le Levant au cours du glaciaire précédant ? [cf. carte O].
A à ce stade, il convient d’anticiper la question de la diffusion de l’Acheuléen en Europe. Il y a 75 ans, Movius (1944) avait fait l’observation qu’aucun vestige acheuléen / ‘’mode 2’’ n’était retrouvé à l’Est d’une ligne passant approximativement par le Rhin, la mer Noire, l’Est de l’Anatolie et l’Est de l’Inde ; et que seuls des outils oldowayens / ‘‘mode 1’‘ étaient recueillis en Europe Centrale et Orientale (antérieurement au Moustérien du Paléolithique Moyen), ainsi qu’en Extrême-Orient (antérieurement au Paléolithique Supérieur). Depuis qu’elle a été proposée, cette ‘‘ligne de Movius’‘ a fait l’objet de controverses inépuisables. Pensant qu’elle n’était qu’un artéfact de mesure résultant de l’insuffisance des fouilles, Zamiatnin (1951) avait prédit que la découverte de nouveaux sites ferait rapidement disparaitre ce qui n’était pour lui qu’une illusion de frontière ‘’culturelle’’. Pourtant, près de 70 ans après sa prophétie, la ligne de Movius reste têtue comme les faits, et refuse de céder le pas à ses détracteurs ! En Europe, cependant, il faut repousser ce débat au-delà de l’époque où nous sommes parvenus [cf. carte R], car on n’y trouve encore aucun biface véritable au Cromérien ancien ! En effet, bien que certains chercheurs s’enhardissent à décrire des bifaces très anciens sur certains sites italiens (Isernia, Molise, v. 800.000 à 700.000 AEC ; Notarchirico, Basilicate, v. 650.000 AEC), d’autres chercheurs qualifient plus prudemment ces mêmes vestiges de ‘‘pièces à enlèvements bifaciaux’‘… Au total, aucun matériel acheuléen évident n’est consensuellement admis en Anatolie et en Europe au cours du Cromérien ancien. A la place, on trouve une industrie composée de ‘’petits outils’’ qui s’inscrivent dans la filiation du vénérable ‘‘mode 1’‘ mais qui en seraient une version évoluée dénommée Tayacien (TAY) et que l’on pourrait également appeler ‘‘*mode 1bis’‘ ou Oldowayen ‘’supérieur’’ (OLD+) [cf. carte R]. Nous avons déjà interrogé la part d’un métissage à l’origine de ces industries oldowayennes évoluées dont les auteurs pourraient recevoir le nom d’‘’Antécessors récents’’ [cf. carte O].
En Asie, la ligne de Movius a été ébranlée par la découverte (2000) de pièces bifaciales âgées de 800.000 ans AEC, à Bose (Guangxi, Chine du Sud). A leur propos, des études récentes (2012, 2014) concluent que les bifaces africains, indiens et européens [cf. carte R pour l’Acheuléen d’Europe] constituent un groupe typologique homogène, tandis que ceux de Bose et de sites coréens plus récents (Imjin Hautan River Bassin, vers 350.000 AEC) se rangeraient dans un groupe typologique distinct, défini sur la base de bifaces plus larges et plus épais. Si ces différences typologiques devait prochainement faire l’objet d’un consensus, il faudrait s’interroger sur l’origine de ces ‘’bifaces chinois’’. Il existerait alors deux possibilités : 1) soit une évolution locale, indépendante mais convergente, qui aurait conduit les Erectus de Chine à réinventer le biface aux alentours de 800.000 AEC ? (rupture locale du ‘‘plafond de verre cognitif’’) ; 2) soit une diffusion septentrionale et orientale de groupes Erectus d’Asie Centrale qui auraient atteint la Chine du Nord grâce aux conditions climatiques favorables du MIS 17, en véhiculant une innovation technologique peut-être acquise à la suite de métissages avec des groupes acheuléens iraniens ? Confrontés à la survenue du sévère glaciaire MIS 16, ces immigrants putatifs – que nous qualifions d’’‘Erectus récents’‘ – seraient ensuite descendus jusqu’en Chine du Sud, ne laissant plus que le Sunda aux vieux ‘’indigènes’’ ‘‘Erectus anciens’‘, qui étaient les proches parents continentaux des Hobbits insulaires [cf. carte O]. Bien que difficile à confirmer, cette hypothétique seconde vague d’immigration Erectus en Extrême-Orient expliquerait à la fois l’introduction de nouvelles technologies lithiques ‘’acheuléennoïdes’’ en Chine et les caractéristiques anthropologiques des Hobbits de Flores, considérés comme issus d’Humains plus archaïques que les Erectus classiques de Chine. D’où qu’il soit provenu, la diffusion du ‘’Pseudo-Acheuléen’’ / *Bosien chinois fut-t-elle été accompagnée par la capacité à entretenir le feu ? Aucun vestige de foyer n’est attesté (2019) à cette haute époque en Chine ; mais le feu sera connu vers 600.000 AEC à Zhoukoudian, sans argument pour qu’un nouveau remplacement de population se soit produit entre le Cromérien ancien et cette date. Ces progrès furent donc peut-être concomitants.
Ainsi, chez les ‘’Antécessors récents’’ d’Europe se pose la question de l’origine des ‘‘petits outils’‘ tayaciens et des ‘’pièces à enlèvement bifaciaux’’ qui pourraient être la conséquence d’un métissage limité des ‘’Antécessors anciens’’ avec les Acheuléens du Proche-Orient ? Tandis qu’en Chine, l’apparition d’une nouvelle industrie qui n’était plus tout à fait l’Oldowayen mais qui n’était pas non plus un Acheuléen classique, pourrait parallèlement résulter d’un métissage entre des Acheuléens du Moyen-Orient et des Erectus anciens d’Asie Centrale méridionale ; avant une expansion orientale interglaciaire de ceux-ci, devenus ce que nous pourrions appeler des Erectus ‘’récents’’ ? Dans les deux cas, nous proposons le terme collectif de ‘‘*Mode 1bis’‘ / Oldowayen ‘’récent’’ (OLD+) pour distinguer ces nouvelles technologies occidentales et orientales du très ancien Oldowayen ‘’classique’’ dont elles étaient majoritairement issues. Contrairement aux Erectus ‘’anciens’’ de ‘’pure souche’’, ces Erectus ‘’récents’’ étaient peut-être mieux équipés cognitivement pour vivre dans les forêts tropicales sèches ? [cf. Chine du Sud].